Dès sa première définition proposée par Lambert dans son Nouvel Organon, la phénoménologie - entendue comme « optique transcendante » qui a affaire à l'apparence sensible - a privilégié un rapport particulier avec le monde - celui entamé par le regard. A travers l'histoire de la phénoménologie, l'accent a été mis constamment sur la nécessité de décrire comment les choses mêmes apparaissent : c'est ainsi  que la phénoménologie s'est vouée  - à côté des autres disciplines comme l'optique ou l'esthétique - à l'exégèse du visible, en réclamant toutefois l'originalité de son approche et l'originairité du phénomène pris en vue.

A l'encontre de ces disciplines qui ont tablé surtout sur la réceptivité et la capacité représentationnelle du regard, la phénoménologie a défini le regard comme direction, comme sens qui nous mènent au monde comme tel. Malgré leurs divergences, pour Husserl, Heidegger et Merleau-Ponty, le regard, en voisinage sémantique serré avec l'intentionnalité, reste toujours la voie royale qui nous conduit au milieu du va-et-vient entre le monde et la conscience/existence. Le point commun de leurs théories réside dans ce qu'on peut appeler la paideia du regard - ou l'idée selon laquelle le regard véritable sur le monde s'apprend : pour y arriver, il faut endurer les épreuves de la saisie radicale de la conscience, de la re-conduction du voir de l'étant à l'être ou de la prise sur l'entrelacs du visible et de l'invisible. Dans un mot, le regard s'apprend suite à l'expérience de la différence (soit-elle ontique, ontologique ou eikonologique). En mettant en parenthèse l'ordre commun du voir, il nous donne accès à la conscience constituante, à l'être comme principe d'intelligibilité  de l'ouverture du Dasein ou finalement au tangible comme fondement du visible.

D'ailleurs, on peut traduire le titre de notre journée d'études « Le regard phénoménologique : réduction et destruction » comme l'expression d'une double problématique :

• d'un côté, la question de nature : quelle est la structure, la fonction et le spécifique du regard phénoménologique par rapport aux autres manières de voir ? En d'autres termes, qu'est-ce que le qui du regard phénoménologique (dont l'attribut essentiel repose sur la différenciation face au sujet connaissant : il est soit une conscience constituante, soit un Dasein, ou un sujet incarné) et qu'est-ce que son quoi (l'idéalité objective saisie par la réduction transcendantale husserlienne ou le sens temporel de l'être vu par les yeux d'une destruction de la tradition) ?
• de l'autre côté, il nous reste la question de méthode : si la conjonction de la réduction et la destruction renvoie à la nature purement méthodologique du regard phénoménologique, autrement dit si celui-ci n'est qu'une méthode, son primat sur les autres modalités de « voir » et sa prétention d'avoir accès aux données originaires sont-ils encore légitimes ? Quelles sont donc les limites de la réduction et de la destruction et - implicitement  - où commence la cécité du regard phénoménologique ?

C'est seulement à la fin de ce chemin difficile qu'on arrivera à convertir le regard phénoménologique dans un « savoir voir » authentique.

Programme :

Matinée :

• 10h00 Paul MARINESCU (doctorant, Université Jean Moulin Lyon 3, Université de Bucarest) - Présentation de la journée
• 10h15 Jean-Jacques WUNENBURGER (Professeur et doyen, Université Jean Moulin Lyon 3) -  Une ontologie paradoxale de l'image
• 11h00 Etienne BIMBENET (maître de conférences, Université Jean Moulin Lyon 3) -  La double méthode de la phénoménologie

Après-midi :

• 14h15 Delia POPA (docteur, Université de Nice Sophia Antipolis) - Qu'est-ce qu'une essence phénoménologique? Le regard phénoménologique et la modification de l'imagination
• 15h00  Mathias GOY (doctorant, Université de Bourgogne) - L'excès du visible
• 15h45  Paul MARINESCU (doctorant, Université Jean Moulin Lyon 3, Université de Bucarest) -  La visibilité de l'oubli ontologique
• 16h30 Grégori JEAN (doctorant, Université de Nice Sophia Antipolis) - Regard phénoménologique et regard humain - l'irréductibilité d'une différence.

Organisateur : Paul MARINESCU