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VALLET-SEVE Virginie

« La letteratura corne vita ». Intellectuels, histoire et politique à Naples dans les revues culturelles de l'après-guerre, 1944-1961

Publié le 3 avril 2024 Mis à jour le 10 avril 2024

Thèse en cotutelle en Philosophie, soutenue le 11 décembre 2023.

Cette étude naît de la volonté de répondre à un simple questionnement : dans quelle mesure la Naples de l’immédiat après-guerre, transformée en capitale emblématique de la guerre froide, peut-elle être considérée comme un laboratoire de « letteratura come vita » ? Le climat glacial de l’année 1945 à Naples se trouve marqué par une crise de conscience des intellectuels, qui s’étend jusqu’en Europe. La situation du Mezzogiorno de l’immédiat après-guerre semble comparable avec celle de l’Italie du Risorgimento, dans laquelle la population assume le simple rôle de spectatrice de son époque et du monde politique. Le peuple napolitain se distingue toutefois par son courage lors de l’insurrection spontanée des Quattro Giornate (27-30 septembre 1943). Naples est ainsi l’un des premiers symboles de l’Italie libérée et l’une des premières villes d’Europe à se défaire du joug nazi-fasciste. Un contraste existe entre le chaos qui semble paralyser le Nord et le Centre de l’Italie en 1944, alors que le Sud, qui ressent déjà les premiers effets de la Libération, se projette sur le long terme avec un débat culturel ouvert sur l’Europe et le monde. Les GUF (Gruppi Universitari Fascisti) et leurs revues officielles constituent dans un premier temps le creuset idéal de l’antifascisme parmi les jeunes intellectuels, qui basculent progressivement vers des revues d’orientation communiste. L’engagement civil, moral et politique des ragazzi di Monte Di Dio, passe par la constitution de réseaux importants de militantisme culturel. Après vingt ans d’obscurantisme culturel et de rhétorique vide, un nouveau concept d’une culture universelle et inspirée de l’humanisme, avec un « ritorno dell’uomo all’uomo » comme valeur primordiale, tournée vers l’Europe et le monde, se voit proposé par Massimo Caprara aux lecteurs de l’unique numéro de Latitudine [janvier 1944]. Cette revue, à la fois pionnière et expérimentale, ouvre la saison florissante des revues à Naples, qui s’achèvera avec Le Ragioni narrative (1960-1961). Naples se retrouve toutefois prise dans un double piège, qui conjugue l’omniprésence des Américains au cours de l’Interregno, de 1943 à 1946, au stalinisme écrasant du PCI (Partito Comunista Italiano), dans lequel les notions d’individualité et de liberté sont niées. Notre objectif sera d’étudier les parcours paraboliques de figures tutélaires d’intellectuels, caractérisés par une énergie et des idées communes fédératrices, qui leur permettent de fonder des revues culturelles promises au succès, puis par la dispersion des membres du groupe, accompagnée parfois d’un sentiment de désillusion, suivi d’un exil massif et donc d’une dispersion, où chacun va finalement se consacrer à sa carrière journalistique, littéraire, artistique ou politique. L’analyse croisée de leurs supports culturels nous permettra de comprendre dans quelle mesure l’intellectuel devient un acteur à part entière dans la société napolitaine et dans son pays, du fait qu’il participe à l’élaboration d’une mémoire historique individuelle et collective, mais également d’une identité culturelle. Leur prise de conscience historico-politique va leur permettre d’agir concrètement sur l’histoire de Naples. La question de l’historicité apparaît d’autant plus légitime qu’elle s’inscrit dans le cadre du développement de la Questione meridionale. L’historicité se traduit par le refus de la résignation et la volonté de comprendre le cours de leur histoire à travers la revue, qui se veut à la fois instrument d’analyse et de diagnostic, mais également instrument d’action.

Mots-clés : Intellectuels ; Engagement ; Naples ; Après-guerre ; Littérature ; Culture et politique ; Historicité ; Revues culturelles ; Questione meridionale

This study arises from the desire to answer a simple question: to what extent can Naples in the immediate post-war period, transformed into the emblematic capital of the Cold War, be considered a laboratory of “letteratura come vita”? The icy climate of 1945 in Naples was marked by a crisis of conscience among intellectuals, which extended to Europe. The situation in the Mezzogiorno immediately after the war seems comparable to that of the Italy of the Risorgimento, in which the population assumed the role of simple spectator of its time and of the political world. The Neapolitan people, however, distinguished themselves by their courage during the spontaneous insurrection of the Quattro Giornate (September 27-30, 1943). Naples is thus one of the first symbols of liberated Italy and one of the first cities in Europe to throw off the Nazi-fascist yoke. A contrast exists between the chaos which seemed to paralyze the North and Center of Italy in 1944, while the South, which was already feeling the first effects of the Liberation, was planning for the long term with an open cultural debate on the Europe and the world. The GUF (Gruppi Universitari Fascisti) and their official reviews initially constituted the ideal crucible for anti-fascism among young intellectuals, who gradually shifted towards journals of a communist orientation. The civil, moral and political commitment of the ragazzi di Monte Dio involves the creation of important networks of cultural activism. After twenty years of cultural obscurantism and empty rhetoric, a new concept of a universal culture inspired by humanism, with a “ritorno dell'uomo all'uomo” as a primordial value, turned towards Europe and the world, is proposed by Massimo Caprara to the readers of the only issue of Latitudine [January 1944]. This review, both pioneering and experimental, opened the flourishing season of reviews in Naples, which ended with Le Ragioni narrative (1960-1961). Naples, however, found itself caught in a double trap, which combined the omnipresence of the Americans during the Interregno, from 1943 to 1946, with the overwhelming Stalinism of the PCI (Partito Comunista Italiano), in which the notions of individuality and freedom are denied. Our objective will be to study the parabolic journeys of tutelary figures of intellectuals, characterized by energy and unifying common ideas, which allow them to found cultural journals promised to success, then by the dispersion of the members of the group, sometimes accompanied by a feeling of disillusionment, followed by massive exile and therefore dispersion, where everyone will finally devote themselves to their journalistic, literary, artistic or political career. The cross-analysis of their cultural supports will allow us to understand to what extent the intellectual becomes an actor in his own right in Neapolitan society and in his country, due to the fact that he participates in the development of an individual historical memory and collective, but also of a cultural identity. Their historical-political awareness will allow them to act concretely on the history of Naples. The question of historicity appears all the more legitimate as it is part of the development of the Questione meridionale. Historicity translates into the refusal of resignation and the desire to understand the course of their history through the review, which is intended to be both an instrument of analysis and diagnosis, but also an instrument of action.

Keywords:  Intellectuals ; Commitment ; Naples ; Post-war period ; Literature ; Culture and politics ; Historicity ; Cultural reviews ; Questione meridionale


Directeur de thèse : Pierre GIRARD et Giancarlo ALFANO

Membres du jury :
M. GIRARD Pierre, Directeur de thèse, Professeur des universités, Université Jean Moulin Lyon 3, France,
Mme BOVO Elena, Rapporteure, Maître de conférences habilitée à diriger des recherches, Université de Franche-Comté, Besançon, France,
M. SCOTTO D'ARDINO Laurent, Rapporteur, Maître de conférences habilité à diriger des recherches, Université Grenoble Alpes, France,
M. ALFANO Giancarlo, Professeur, Université degli Studi di Napoli Federico II, Italie,
M. DESCENDRE Romain, Professeur des universités, Ecole Normale Supérieure, Lyon, France,
Mme FRIGAU MANNING Céline, Professeure des universités, Université Jean Moulin Lyon 3, France,
Mme GIAMMATTEI Emma, Professeure, Université degli Studi Suor Orsola Benincasa Napoli, Italie.

Président du jury : Céline FRIGAU MANNING