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Séminaire Jeunes Chercheurs de Philosophie Argumentative | Philosophie des sciences sociales et de l’action

Publié le 5 avril 2024 Mis à jour le 6 juillet 2024

Interventions de Jeremy ATTARD (Université de Mons) et de Vasiliki XIROMERITI (Université Jean-Moulin Lyon 3) dans le cadre du séminaire Jeunes Chercheurs de Philosophie Argumentative. Rendez-vous mardi 9 avril 2024 à 17h.

Séance 7 : Philosophie des sciences sociales et de l’action

 
Jeremy Attard (Université de Mons) : "L’Épistémologie des modèles en sciences sociales – le cas des théories de l’action en sociologie analytique"

Mon travail porte sur le statut épistémologique des principes fondamentaux en science, dans une optique comparative et unitaire entre les sciences physiques et les sciences sociales. Je m’intéresse plus particulièrement aux conditions de justification des hypothèses des théories de l’action (comme la théorie du choix rationnel) au cœur des mécanismes explicatifs en sciences sociales, en particulier dans le courant dit analytique de la sociologie. Ce dernier se donne pour objectif d’expliquer les phénomènes sociaux, c’est-à-dire macro, en les dérivant de l’agrégation des comportements, actions ou choix individuels (micro), eux-mêmes conditionnés par les structures sociales dans lesquelles les individus en question sont plongés. La sociologie analytique produit tout un ensemble de modèles des mécanismes micro-sociaux à l’œuvre dans des situations d’intérêts, mécanismes qui reposent sur des principes fondamentaux modélisant l’action humaine, et qui se retrouvent donc au cœur des explications proposées.

La question qui m’intéresse ici est purement épistémologique : c’est celle de la justification de ces principes d’action. Comment reconnaître un bon modèle explicatif, comment comparer différents modèles et sélectionner le meilleur, et selon quels critères ? Les principes d’action s’actualisent en effet dans des modèles à l’aide d’hypothèses additionnelles spécifiques, modèles qui se retrouvent en tension entre deux positions qui peuvent être considérées comme épistémologiquement insatisfaisantes. D’une part, les modèles qui expliquent un grand nombre de phénomènes reposent souvent sur des hypothèses simples, irréalistes voire notoirement fausses. D’autre part, les modèles amendés et complexifiés avec des hypothèses plus réalistes peuvent s’adapter (trivialement) à un grand nombre de situations et donc éventuellement perdre leur pouvoir explicatif.

Ma proposition vise à sortir de ce dilemme sans renoncer à l’utilisation de modèles simples et idéalisés ni se réduire à une simple position instrumentaliste de type “as-if”. Mon argument repose sur une comparaison avec les théories et les modèles en physique : les principes fondamentaux en physique, et les hypothèses additionnelles qui les actualisent, jouissent d’un grand nombre de formulations différentes qui proposent des descriptions du monde incompatibles entre elles, sans pour autant que leur pouvoir explicatif en soit impacté. Il semble que ce qui compte, ce ne sont pas les principes en eux-mêmes ni même les hypothèses spécifiques utilisées pour les actualiser, mais les contraintes qui s’appliquent sur cette actualisation. Dans les cas favorables, de ces contraintes émerge une certaine structure, qui prend la forme d’une classification des phénomènes, et cette structure ne dépend pas, in fine, de la formulation particulière du principe qui l’a fait émerger. Ceci suggère que les principes généraux tout comme les hypothèses spécifiques qui les actualisent ne sont pas, malgré leur forme, des propositions empiriques (ainsi, leur comparaison avec la réalité n’est pas un critère pertinent) mais seulement des substrats de modélisation nécessaires, c’est-à-dire la représentation particulière d’un processus de classification. J’introduirai donc ce critère d’invariance structurelle, en montrant comment il s’applique aux théories de l’action et comment il peut éclairer les questionnements épistémologiques qui les accompagnent.

Vasiliki Xiromeriti (Université Jean-Moulin Lyon 3) : "Raisonnement pratique et action collective : Comment la délibération collective structure-t-elle la coopération ?"

Il y a sans doute des actions que l’on peut attribuer à des groupes. Il suffit de considérer un orchestre jouant à la cinquième de Beethoven ou une équipe de foot remportant le championnat. Mais qu’est-ce qui nous permet de qualifier un comportement collectif comme une activité coopérative ? En réponse à cette question, les philosophes se sont concentrés sur le phénomène de l’intentionnalité collective, explorant les conditions dans lesquelles des états mentaux peuvent être attribués à des groupes. Cependant, le rôle du raisonnement pratique dans la structuration de la coopération reste souvent négligé.

Dans la philosophie traditionnelle de l’action, centrée sur l’agent individuel, la délibération pratique est au centre de la définition d’une action intentionnelle. Un comportement est une action si et seulement s’il a été ou aurait pu être précédé d’une délibération. En d’autres termes, un comportement n’est une action que s’il est possible de restituer les raisons de l’agent de se comporter de cette manière. Cette relation entre délibération et action collective est moins évidente. Les groupes n’ont pas la même unité de réflexion que les agents individuels. De plus, le raisonnement collectif semble être une tâche cognitive exigeante. Dans la mesure où nous pouvons observer des actions collectives de la part des enfants ou même des animaux, nous ne pouvons pas faire du raisonnement une condition sine qua non de l’action collective. Enfin, nous pouvons distinguer des actions collectives qui s’accomplissent sans qu’une forme de raisonnement dans ce sens ait lieu (e.g., une ola mexicaine). Cependant, dans certains cas, le raisonnement pratique joue un rôle crucial dans l’organisation de la coopération. Des individus arrivent à se coordonner et à spécifier leur action commune au moyen d’un type de raisonnement et, initialement en désaccord, par l’argumentation et la persuasion mutuelles.

Mon exposé vise à explorer les mécanismes par lesquels le raisonnement pratique structure la coopération. Pour ce faire, je m’appuie sur l’analyse de l’action collective fondée sur le concept du raisonnement en équipe (team reasoning). Initialement développée par des théoriciens des jeux pour expliquer la coopération dans les dilemmes sociaux ou dans des jeux à plusieurs équilibres, cette approche a été reprise par des philosophes pour proposer une théorie alternative de l’action collective. Cette approche définit l’action collective comme une action faite pour certaines raisons, sans que cela implique une tâche cognitive exigeante. En effet, l’action collective résulte du raisonnement en équipe, qui consiste à l’identification des individus au groupe. Cependant, s’appuyant sur une analyse en termes de la théorie des jeux, les approches basées sur le raisonnement en équipe, ne parviennent pas à rendre compte de la délibération collective – notamment des situations où la coopération est organisée à moyen d’un processus de raisonnement en commun et non pas simplement grâce à des mécanismes psychologiques d’identification au groupe. Ainsi, il est nécessaire de compléter cette approche par une analyse de la délibération collective reposant sur des critères de rationalité internes au processus du raisonnement en commun.


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