Séance 1 : Philosophie de l'esprit

Raphaël Pierrès (Université Paris I) : "Trois hypothèses pour une philosophie de l’esprit : historicité, vivacité et vectorialité"

La communication s’articule en deux moments : une discussion critique, puis un ensemble de propositions alternatives.
Dans un premier temps, je critique trois traits de la conception dominante de l’esprit, comme anhistorique, mécanique, et intérieur. En effet, la philosophie de l’esprit du vingtième siècle (Sellars, 1963 ; Fodor, 1988 ; Churchland, 1981) n’est peut-être pas si éloignée du modèle cartésien, lorsqu’elle étend à l’esprit sa conception mécaniciste du corps. Je m’efforce ainsi dans un premier temps de construire une critique de l’esprit comme machine intérieure atemporelle en faisant appel à une ligne d’argumentation wittgensteinienne (Wittgenstein, 1953 ; Ryle, 1949 ; Bouveresse, 1987 ; Descombes, 1995).
L’image de l’intériorité nous égare. Si le je n’est pas une illusion, l’intériorité est pourtant une impasse, à plusieurs titres : mécompréhension de la grammaire de la localisation, partant objectivation du "je", postulat de l’accès privilégié, image trompeuse d’un espace privé, fondation égologique. Par contraste, critiquer la localisation intérieure de la pensée, c’est d’un même mouvement répondre à l’objection selon laquelle penser serait une expérience privée, et remettre en question la caractérisation du mental à partir de la dimension représentative. La pensée ne doit pas être cherchée dans des expériences privées, mais dans l’usage public des signes. Toutefois, cet usage n’est pas mécanique : je mobilise dans ce cadre l’articulation entre jeu-de-langage et forme-de-vie. Enfin, la critique wittgensteinienne présente cependant des limites que j’analyse brièvement.

Sur cette base, je discute dans un deuxième temps trois hypothèses alternatives : je propose ainsi trois traits pour concevoir la pensée comme historique, vivace et vectorielle. Certaines de ces hypothèses entrent en résonance avec des perspectives analytiques contemporaines (Van Gelder, 1998 ; Eliasmith, 1997 ; Horgan, 1996), d’autres sont en tension.

1. Je soutiens d’abord que l’esprit n’est pas intérieur, il est historique. Critiquer l’intériorité comme modèle pour concevoir l’esprit renvoie positivement à une manière alternative de concevoir la pratique philosophique, qui engage une attention à ce en quoi penser est irréductible à l’intériorité : tout spécialement à l’historicité des concepts que nous faisons jouer.
2. Je défends ensuite l’idée que l’esprit n’est pas intérieur, il est vivace. J’explique alors l’usage que je fais de cette notion : l’histoire ne se déploie pas sans sol, il y a une certaine situation vivante pour la pensée, qui l’inscrit dans un milieu. Penser ne renvoie pas seulement à la manipulation de signes dans un jeu de langage, mais à la fois, et plus profondément, à des formes de vie.
3. Enfin, l’esprit n’est pas intérieur, il est vectoriel. S’il faut vraiment s’en faire une image, l’esprit n’est ni une boîte, ni un socle, mais un ensemble de flèches. Penser, c'est déplacer des signes pour décrire une position vivante. Je m’efforce par ce moyen d’interroger l’articulation entre ancrage et manipulation, situation et mouvement.

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