Séance 5 : Ontologie

 

Camille Mouflier (Université Jean-Moulin Lyon 3/Humboldt-Universität zu Berlin) : "La méréologie platonicienne : une défense d’un organicisme non physicaliste"

Si les notions de "tout" et de "partie" semblent de prime abord abstraites et – peut-être même – ne pas poser problème, il est frappant de noter leur utilisation très commune pour caractériser des réalités aussi différentes qu’une maison, une science, un peuple, un tas de sable, un être vivant, etc. Pourtant, l’énumération de tels exemples montre l’existence d’un certain flou conceptuel : un chat est-il un tout au même sens qu’un tas de sable ? Ce type de question est traité spécifiquement par la méréologie, l’étude de la relation de tout à partie. Son problème fondamental se formule ainsi : le tout n’est-il que la somme de ses parties ?

Ces questions se trouvent dès l’Antiquité, bien avant l’invention du terme "méréologie" par Leśniewski (1927-1931), mais la constitution de ce nouveau champ d’études invite à relire les philosophes qui peuvent être de véritables interlocuteurs contemporains. Par exemple, les travaux de Henry (1991) ont montré l’importance des travaux liés à la méréologie au Moyen-Âge, par l’intermédiaire de Boèce. Depuis une trentaine d’années, la méréologie antique commence également à faire l’objet d’études. Ce point est d’autant plus étonnant que le rôle crucial de Platon a été souligné par l’un des fondateurs de la méréologie extensionnelle classique (Simons 1987) puisque ce philosophe a été le premier à se demander, dans le Théétète, si un mot n’est que la somme des lettres qui le composent. Autrement formulé, "apéro" est-il identique à "opéra" ? Toutefois, Platon ne s’est pas contenté de soulever ce problème, il a également tenté d’y apporter une réponse. Les études fondamentales de Harte (2002) et Marmodoro (2020) ont visé à montrer que Platon n’était pas seulement le fondateur de la méréologie mais également un interlocuteur qui propose des solutions philosophiques originales aux débats contemporains. Notre présentation s’inscrirait dans ce cadre qui est à la fois historique et philosophique.

Notre propos consistera donc à présenter et discuter une thèse de la méréologie platonicienne, défendue dans le Timée, selon laquelle toute totalité véritable est nécessairement vivante. Cette position, qualifiable d’"organiciste" en termes contemporains, est proche de celle défendue par Van Inwagen (1990). Toutefois, ces deux auteurs s’opposent car ce dernier pose un fondement physicaliste à sa thèse, contrairement à Platon. Le rapprochement de ces deux positions et l’étude de leurs divergences présentent un double intérêt. Tout d’abord, historiquement, il permet de mieux comprendre le recours par Platon à certaines notions dans le Timée, obscures pour un lecteur contemporain : le "vivant en soi" et l’"âme du monde". Ensuite, philosophiquement, la position platonicienne contraint, d’une part, à interroger le présupposé physicaliste de certaines explications méréologiques contemporaines et, d’autre part, à interroger la pertinence d’une réponse dénuée de ce même présupposé. Si cette position est bien évidemment minoritaire (si ce n’est inexistante aujourd’hui), il n’en reste pas moins qu’elle doit être examinée, située et, éventuellement, réfutée dans le cadre des débats contemporains.

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