• Philosophie,

Eric Voegelin. Symboles du politique

Thierry Gontier

Publié le 26 novembre 2008 Mis à jour le 17 juin 2020
Eric Voegelin. Symboles du politique
La pensée d'Eric Voegelin (1901-1985) part d'une réflexion sur les symboles qui relient l'ordre juridico-politique à un ordre de l'existence, que l'homme découvre dans son expérience la plus fondamentale de tension de l'âme vers un au-delà d'elle-même. C'est ainsi dans la relation de l'homme au sacré que s'origine la communauté politique. Une société est "ordonnée" ou "ouverte" lorsqu'elle se conforme à cet ordre de l'âme et se subordonne à une origine de pouvoir située au-delà de la société et du monde. Le désordre politique est pour sa part toujours lié à un désordre de l'âme qui se referme sur elle-même dans une aspiration pathologique d'auto-gouvernement et d'auto-maîtrise.

Voegelin s'oppose à toutes les formes de mutilation, de réduction ou de déformation de cette expérience existentielle de l'homme. Il s'oppose ainsi à la « théorie pure du droit » de son ancien maître Hans Kelsen, lui reprochant de constituer les normes juridiques en un système clos et auto-fondé, coupé de l'ordre de l'existence. Il s'oppose surtout à la dérive totalitaire des sociétés modernes, en caractérisant les totalitarismes comme des religions intra-mondaines, qui ont confisqué pour elles-mêmes la dimension existentielle du sacré. De cette perversion spirituelle, Voegelin a tenté de fournir une étiologie, dans une philosophie de l'histoire qui s'écarte des schémas traditionnels de la sécularisation. Il réinterprète ainsi la catégorie, déjà présente chez Jacob Taubes et Karl Löwith, de gnosticisme, qui désigne chez lui un acte de révolte de l'ego contre l'expérience du sacré, conduisant à la recherche d'un accomplissement de la tension de l'existence à l'intérieur de l'histoire.

Ce processus destructeur de la modernité n'est cependant pas une fatalité. Les institutions américaines, en particulier, attestent, par leur attachement à la division des pouvoirs et à la tolérance religieuse, une conception « finitiste » de la souveraineté politique. Ce que Voegelin défend est ainsi la finitude d'un politique qui fait une place à l'inquiétude fondamentale de l'homme devant la possibilité d'un au-delà de l'humain.


Thierry GONTIER est Professeur de philosophie morale et politique à l'Université Jean Moulin Lyon 3 et membre de l'Institut de recherches philosophiques de Lyon.

Éditions Michalon, coll. "Le Bien commun", octobre 2008, 123 pages.
ISBN : 978-2-84186-467-6 - Prix : 10 €